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Le volet AT/MP du PLFSS 2024 prévoit de réformer l’indemnisation du préjudice fonctionnel permanent

Présenté en conseil des ministres le 27 septembre 2023, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 entend prendre en compte le préjudice fonctionnel permanent dans le calcul de la rente accident du travail.

Rappels sur la rente AT/MP

Lorsqu’un salarié est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 10 % consécutive à un accident du travail (AT) ou une maladie professionnelle (MP), il bénéficie d’une rente AT/MP (c. séc. soc. art. L. 434-2 et R. 434-1).

Le montant de la rente résulte du produit du salaire annuel de référence retenu pour le calcul de la rente (c. séc. soc. art. R. 434-28 et R. 434-29), multiplié par le taux corrigé de la rente, lequel est fonction du taux d’incapacité permanente (c. séc. soc. art. R. 434-2). Le tableau ci-après récapitule les grands principes de calcul.

En deçà de 10 % d’incapacité permanente, la victime bénéficie d’une indemnité en capital (c. séc. soc. art. L. 434-1 et R. 434-1) (voir tableau).

Modalités de calcul de la rente AT/MP
Montant de la rente
Le montant de la rente résulte du produit du salaire annuel de référence retenu pour le calcul de la rente (c. séc. soc. art. R. 434-28 et R. 434-29), multiplié par le taux corrigé de la rente, lequel est fonction du taux d’incapacité permanente (c. séc. soc. art. R. 434-2).
Salaire annuel de référence
• Le salaire annuel de référence correspond à la rémunération perçue au cours des 12 mois civils précédant l’arrêt de travail.
• Il ne peut être inférieur à un montant minimal (20 049,09 € depuis le 1er avril 2023 ; circ. CNAM 5/2023 du 1er avril 2023).
• Pour le détermination du salaire de référence, la rémunération est intégralement prise en compte jusqu’à deux fois le salaire minimal, puis elle est prise en compte pour 1/3 pour sa fraction comprise entre deux et huit fois le salaire annuel minimum des rentes.
Taux corrigé de la rente
Le taux corrigé est obtenu à partir du taux d'incapacité permanente réelle, réduit de 50 % pour sa partie inférieure ou égale à 50 %, et augmenté de 50 % pour sa partie qui excède 50 %.
Exemple 1 : pour un taux d’IPP de 40 %, le taux corrigé est de 40 % / 2 = 20 %.
Exemple 2 : pour un taux d’IPP de 60 %, le taux corrigé est de (50 % / 2) + [(60 % - 50 %) × 1,5) = 40 %.

La faute inexcusable et la réparation du déficit fonctionnel permanent

Lorsqu’il est reconnu qu’un accident du travail ou une maladie professionnelle est dû à une faute inexcusable de l’employeur, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (c. séc. soc. art. L. 452-1).

Tout d’abord, la rente (ou l’indemnité en capital) est majorée (c. séc. soc. art. L. 452-2).

Par ailleurs, il est possible d’intenter contre l’employeur une action en vue d’obtenir réparation des autres préjudices qui ne sont pas couverts par les prestations de sécurité sociale (c. séc. soc. art. L. 452-3 ; c. constit., décision 2010-8 QPC du 18 juin 2010, JO du 19 ; cass. civ., 2e ch., 30 juin 2011, n° 10-19475, BC II n° 148).

Traditionnellement, jusqu’à un arrêt du 20 janvier 2023, la jurisprudence considérait que le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent était réparé par la rente majorée, de sorte que la victime ne pouvait pas réclamer d'indemnisation à ce titre, sauf à démontrer que la rente ne couvrait pas l’intégralité de son préjudice (cass. civ., 2e ch., 4 avril 2012, n° 11-14311, 2e moyen, BC II n° 67 ; cass. civ., 2e ch., 4 avril 2012, n° 11-15393, BC II n° 67 ; cass. civ., 2e ch. 28 février 2013, n° 11-21015, BC II n° 48).

Mais le 20 janvier 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence et décidé que la rente ne répare plus le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées (cass. ass. plén. 20 janvier 2023, n° 20-23673 BR et n° 21-23947 BR ; voir notre actu du 23/01/2023, « AT/MP avec faute inexcusable : le déficit fonctionnel permanent peut donner lieu à une indemnité distincte »).

Une solution favorable aux victimes d’AT/MP qui peuvent ainsi obtenir l’indemnisation intégrale de ce poste de préjudice distinct et personnel.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 entend réagir à cette jurisprudence en redéfinissant les règles de calcul de la rente AT/MP.

On notera qu’il fait écho aux vœux des partenaires sociaux qui, dans l’accord interprofessionnel du 15 mai 2023, ont « demandé à ce que les derniers arrêts de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 qui interrogent certains aspects de la réparation ne remettent pas en cause » le compromis historique sur lequel repose la réparation des AT/MP, et appelé « le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que la nature duale de la rente ne soit pas remise en cause » (ANI du 15 mai 2023 sur la branche AT/MP, titre II, § 1).

Ce que prévoit le PLFSS 2024 : une nature duale de la rente AT/MP

Deux parts pour le calcul de la rente. – Le PLFSS 2024 affirme expressément la nature duale de la rente AT, en introduisant expressément la couverture du déficit fonctionnel permanent dans la rente AT/MP dont bénéficient les victimes atteintes d’une incapacité permanente d’au moins 10 %.

Concrètement, la rente AT/MP serait composée de deux parts (PLFSS, art. 39, I) :

-une part, dite professionnelle, correspondant à la perte de gains professionnels et à l’incidence professionnelle de l’incapacité ;

-l’autre dite fonctionnelle, correspondant au déficit fonctionnel permanent de la victime.

Première part, dite professionnelle. - La part « professionnelle » de la rente égale au salaire annuel modulé, multiplié par le taux d’incapacité de la victime.

Le salaire annuel modulé serait égal à une fraction du salaire annuel de la victime ou du salaire annuel minimum (voir tableau), dégressive en fonction du niveau de ce salaire.

Le taux d’incapacité, pour sa part, pourrait être réduit ou augmenté en fonction de la gravité des lésions et de l’atteinte portée aux perspectives de la victime sur le marché du travail.

Les règles de modulation du salaire annuel et du taux d’incapacité seraient fixées par décret.

Seconde part, dite fonctionnelle. - La part « fonctionnelle » de la rente serait égale à une fraction du taux d’incapacité multipliée par une valeur de point d’incapacité. Celle-ci serait fixée par un barème tenant compte de l’âge de la victime.

La fraction du taux d’incapacité et le barème tenant compte de l’âge de la victime seraient fixés par arrêté.

L’étude d’impact explique que le barème serait inspiré du barème Mornet, qui est « un recueil méthodologique à destination des magistrats de l'ordre judiciaire ayant vocation à faciliter le traitement du contentieux du préjudice corporel », et qu’il sera établi « après consultation des partenaires sociaux » (étude d’impact du projet de loi, p. 392).

À noter : les rentes versées aux ayants-droits seraient à l’avenir calculées sur la base du salaire annuel modulé de la victime.

En cas de faute inexcusable de l’employeur

Le PLFSS 2024 précise qu’en cas de faute inexcusable de l’employeur, les deux parts de rente AT/MP seraient à l’avenir majorées comme suit (PLFSS, art. 39, I, 4°).

Le montant de la majoration de la part professionnelle serait fixé de telle sorte que la part professionnelle de la rente majorée ne puisse excéder la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, ou, dans le cas d’incapacité totale, le montant de ce salaire. L’étude d’impact résume ainsi la mesure : le montant majoré de la part professionnelle serait au plus égal au taux d’incapacité multiplié par le salaire réel de la victime (étude d’impact du projet de loi, p. 392).

La part fonctionnelle (qui couvrirait donc le déficit fonctionnel permanent) serait majorée de telle sorte que cette part fonctionnelle majorée ne puisse pas excéder le produit du taux d’incapacité par la valeur de point d’incapacité fixée par le barème visé plus haut. Autrement dit, le montant majoré serait au plus égal au taux d’incapacité multiplié par le point du barème visé plus haut.

Entrée en vigueur

La mesure entrerait en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 décembre 2024. Elle s’appliquerait aux victimes dont l’état est consolidé, ou dont le décès est survenu à compter de cette date (PLFSS, art. 39, II).

L’exposé des motifs, lui, vise les assurés dont le taux d’incapacité permanent serait consolidé dès le 1er janvier 2025.

Si l’on s’en tient à l’étude d’impact du projet de loi, l’objectif poursuivi serait « d’améliorer la réparation du préjudice fonctionnel permanent en droit commun des AT-MP » et d’en tirer « les conséquences sur la répartition de la charge financière à ce titre entre la branche AT-MP et les employeurs condamnés dans le cadre de la faute inexcusable de l’employeur » (étude d’impact du projet de loi, p. 391).

Calendrier d’examen du PLFSS 2024
S’il en était besoin, on rappellera que le PLFSS 2024 est, à l’heure où nous rédigeons, au stade de son adoption en conseil des ministres.
La prochaine étape, ce sera l’examen à l’Assemblée nationale, d’abord en commission des affaires sociales, puis en séance publique à partir du 24 octobre, avant que le texte ne soit débattu au Sénat.
On entrera ensuite dans la phase finale d’examen du texte (commission mixte paritaire, nouvelle navette avec dernier mot à l’Assemblée en cas d’échec de la CMP, etc.), pour une publication au Journal officiel en décembre 2023 après probable passage du texte devant le Conseil constitutionnel.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 présenté en conseil des ministres le 27 septembre 2023, art. 39 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/PRJLANR5L16B1682.html