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Délit d’entrave

Une société étrangère doit mettre en place le CSE si elle a des salariés en France sous peine de délit d’entrave

La chambre criminelle de la Cour de cassation confirme que la mise en place des représentants du personnel est une disposition d’ordre public qui s’impose à tous. Une société étrangère qui a des salariés en France doit, si les conditions notamment d’effectif sont réunies, mettre en place les représentants du personnel. À défaut, elle commet un délit d’entrave qui dans cette affaire, donne lieu à une amende de 200 000 €.

Une compagnie d’aviation étrangère qui n’entendait pas du tout respecter la législation française

Dans cette affaire, une compagnie d’aviation irlandaise prétendait que les 127 salariés qui travaillaient dans un établissement en France, dans des locaux de 300 mètres carrés où étaient mobilisés entre 2 et 4 avions, n’étaient que des salariés détachés par elle en France.

Elle produisait à l’appui des formulaires A1 (ex-certificat E 101) délivrés par les institutions compétentes en Irlande.

Ces formulaires ayant manifestement été obtenus par fraude, ils sont écartés par la cour d’appel et par la Cour de cassation.

La Cour rappelle au demeurant que ces certificats, qui créent une présomption de régularité de l'affiliation du travailleur concerné au régime de sécurité sociale de l’État concerné, ne s'imposent aux juridictions de l'État sur le territoire duquel les travailleurs exercent leurs activités qu'en matière de sécurité sociale (CJUE, arrêt du 14 mai 2020, Bouygues travaux publics, C-17/19).

En d’autres termes, les formulaires de détachement A1 sont sans effet à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la sécurité sociale, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs (cass. crim. 12 janvier 2021, n° 17-82553 FSPBI).

Donc, même s’ils avaient été valables, ils n’auraient pas empêché la cour d’appel de condamner la société pour travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre, emploi illicite de personnel navigant (absence de déclaration nominative préalable à l’embauche, défaut d’enregistrement au RCS) et délit d’entrave, puisque les salariés de cet établissement avaient été privés de toute représentation du personnel en France.

À noter Il s’agissait à l’époque des faits de la mise en place du comité d’entreprise, des délégués du personnel et du CHSCT, mais cette jurisprudence est bien entendu applicable à la mise en place du CSE qui les a remplacés.

Le délit d’entrave retiendra ici toute notre attention.

Les droits des travailleurs à être représentés sont des lois de police s’imposant à tous

La société prétendait qu’il n’y avait pas de délit d’entrave, car les salariés avaient la liberté de se syndiquer conformément au droit syndical irlandais et de prendre attache avec les syndicats irlandais ainsi qu’avec les institutions représentatives du personnel de la société en Irlande.

Ses arguments sont balayés par la Cour de cassation qui rend ici un arrêt de principe destiné à être publié.

Toute personne juridique ayant son siège à l'étranger, qui, pour exercer son activité, emploie des salariés sur le territoire français, exerce la responsabilité de l'employeur selon la loi française et doit appliquer les lois relatives à la représentation des salariés dans l'entreprise et organisme assimilé (c. trav. art. L. 2311-1 et s.).

Il s’agit ici de lois de police s'imposant à toutes les entreprises et organismes assimilés qui exercent leur activité en France et qui sont dès lors tenus de mettre en place les institutions qu'elles prévoient à tous les niveaux des secteurs de production situés sur le territoire national, ces institutions remplissant l'ensemble des attributions définies par la loi, à la seule exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l'étranger du siège social (cass. soc. 3 mars 1988, n° 86-60.507, Bull. 1988, V, n° 164). Les règles en matière de mise en place d'organisation des institutions représentatives du personnel et en matière de droit syndical sont d'ordre public.

Les faits démontraient parfaitement le délit d’entrave

La cour d’appel a donc à juste titre condamné la société pour délit d’entrave.

En effet, les conditions étaient réunies pour la mise en place de représentants du personnel au sein de la base d'exploitation située dans un aéroport en France où 127 salariés domiciliés en France travaillaient en permanence et de manière stable.

De plus l'ampleur de l'infrastructure mobilisée, soit entre 2 et 4 avions et 300 mètres carrés de locaux, démontrait que le nombre de salariés concernés n'avait jamais pu être inférieur à 50 (seuil de mise en place du CE à l’époque), indépendamment de la stratégie mise en œuvre par la société prévenue pour masquer ce seuil.

Enfin, le cadre d'exercice des attributions des représentants du personnel doit être le plus proche de la collectivité des salariés, en particulier pour ce qui concerne la défense de leurs droits. Il ne pouvait être prétendu que le personnel travaillant et habitant en France pouvait bénéficier de manière effective des institutions représentatives du personnel situées en Irlande.

La société devra donc s’acquitter d’une amende de 200 000 € et de dommages-intérêts.

Cass. crim. 17 octobre 2023, n° 22-84021 F-B