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Clause de mobilité : le salarié peut invoquer l’impact sur sa vie personnelle et familiale pour la refuser

La Cour de cassation rappelle qu’en cas de litige relatif à la mise en œuvre d’une clause de mobilité, les juges sont tenus de vérifier à la demande du salarié s’il y a ou non atteinte à la vie personnelle et familiale de ce dernier et, le cas échéant, si cette atteinte est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Ce double contrôle est essentiel car il permet de caractériser ou d’écarter un abus de droit de l’employeur.

En principe, une clause de mobilité s’impose au salarié

La clause de mobilité est une clause du contrat de travail par laquelle le salarié accepte à l’avance que son employeur puisse modifier unilatéralement son lieu de travail, dans une zone géographique précisément délimitée (cass. soc. 7 juin 2006, n° 04-45846, BC V n° 209).

En principe, la mise en œuvre de cette clause s’impose au salarié qui ne peut donc pas refuser d’être muté (c. civ. art. 1103 et 1104). En cas de refus, le salarié s’expose à un licenciement pour cause réelle et sérieuse (cass. soc. 23 janvier 2008, n° 07-40522, BC V n° 19).

Toutefois, le salarié peut refuser la mise en œuvre de sa clause de mobilité si elle :

-relève de la mauvaise foi de l’employeur et n’est donc pas justifié par l’intérêt légitime de l’entreprise, ce que le salarié doit prouver (cass. soc. 23 février 2005, n° 03-42018, BC V n° 64 ; cass. soc. 23 juin 2010, n° 08-40581 D) ;

-est abusive, notamment, parce qu’elle porte une atteinte disproportionnée et injustifiée à son droit à une vie personnelle et familiale (cass. soc. 14 octobre 2008 n° 07-40523, BC V n° 192 ; cass. soc. 14 février 2018, n° 16-23042 D).

Un salarié licencié pour avoir refusé une mobilité du fait de son impact sur sa vie personnelle et familiale

Dans cette affaire, un employeur d’une entreprise du bâtiment avait informé un salarié employé en qualité d’ingénieur principal de sa future affectation à Cuba puis au Nigéria, conformément à sa clause de mobilité.

Le salarié avait refusé ces deux propositions de mobilité.

Il avait alors été licencié puis avait saisi la justice pour demander, notamment, une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il arguait que son refus était justifié par une atteinte excessive que ces mobilités porteraient à sa vie personnelle et familiale, au regard des nécessités de scolarisation de ses enfants.

La cour d’appel avait débouté le salarié en retenant que :

-les différentes propositions d'affectations de l’employeur étaient sérieuses et ne pouvaient être considérées déloyales, alors même que le salarié n'ignorait pas que la société n'avait pas de besoin spécifique immédiat dans d'autres pays que Cuba, l'Angleterre en contrat local ou le Nigéria et l'Algérie ;

-le salarié ne rapportait pas la preuve de la mauvaise foi de l'employeur ou d'un abus de celui-ci dans la mise en œuvre de la clause de mobilité, ni ne démontrait que son licenciement serait, en réalité, lié au souhait de la société de se séparer de lui en raison d'une conjoncture difficile et d'une volonté de baisser le nombre d'expatriés.

La cour d‘appel en avait déduit que le salarié ayant refusé les affectations loyalement proposées dans le cadre de sa clause contractuelle de mobilité, son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

À tort, puisque la Cour de cassation casse la décision.

Les juges ne pouvaient pas valider le licenciement sans vérifier l’existence d’une atteinte à la vie personnelle et familiale du salarié

La Cour de cassation rappelle le principe selon lequel nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (c. trav. art. L. 1121-1).

Lorsque le salarié invoque une atteinte à sa vie personnelle et familiale pour justifier son refus de mutation en application de sa clause de mobilité, les juges doivent vérifier si une telle atteinte existe et si cette atteinte est justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (cass. soc. 13 janvier 2009, n° 06-45562, BC V n° 4).

En l’espèce, les juges s’étaient prononcés sans vérifier, alors que le salarié le demandait, si la mise en œuvre de la clause de mobilité portait atteinte à son droit à une vie personnelle et familiale et, le cas échéant, si l’atteinte était justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

Faute d’avoir effectué cette vérification, ils ne pouvaient pas déclarer le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

L’affaire sera rejugée.

Cass. soc. 28 juin 2023, n° 22-11227 D